Vivre la maladie dans la foi

20 septembre 2016

Vivre sa maladie dans la foi
Témoignage d’Anne Robert

Anne, vous avez vécu l’épreuve de la maladie. Pouvez-vous nous partager comment vous avez traversé cette épreuve dans la foi  ?

J’aimerais partager mon cheminement : Il y a des gens pour qui la foi est déjà tellement présente avant la maladie qu’elle les soutient pendant toutes les étapes qu’ils auront à vivre. Pour moi, ça n’a pas été le cas et je pense que c’est souvent ainsi  ! J’aimerais donc partager différents éléments qui m’ont aidé à me rendre vers la lumière, à aller au delà de la maladie et la vivre sereinement.

J’ai eu un cancer du sein  ; mais cette épreuve a été relativement facile pour moi - le genre de confiance en la vie que j’avais m’a aidée. Par contre quand j’ai appris presque une année plus tard que j’avais une mutation génétique, le BRCA2, et que cette mutation prédispose à avoir un nouveau cancer du sein ou des ovaires, à hauteur de 86 % de risques, alors là ça a été pour moi comme si le ciel me tombait sur la tête. J’étais en paix avec l’idée d’un ‘simple’ cancer qui pourrait revenir mais cette mutation était là pour la vie avec toutes ses implications. J’étais dans un état épouvantable, complètement effondrée, dans un état d’angoisse profonde.

Décision

J’avais des décisions à prendre mais elles étaient toutes bonnes par ce que je n’avais pas une maladie mais une possibilité de maladie. Nous sommes tous seuls face aux décisions que nous avons à prendre, même si nous sommes bien entourés et bien conseillés. Dans le cas d’une mutation, la décision revient vraiment au patient.

Pardon de vous interrompre, mais qu’entendez-vous par ‘toutes les décisions sont bonnes’  ?
Voulez-vous dire que :

 l’important est que le patient soit acteur de son propre parcours de soin et donc l’important est que la prise de décision lui revienne.

 l’important est que le patient prenne une vraie Décision, en allant au-delà de ses peurs et de ses angoisses, et qu’il entame ainsi un chemin psychologique et spirituel qui lui permettra d’aller jusqu’au bout.

Quand je dis que tous les choix sont bons, je parle des décisions reliées au choix d’interventions ou non-interventions chirurgicales et thérapeutiques pour les porteurs de mutations génétiques. Comme ce n’est pas une maladie, le choix revient au patient et ne peut être proposé par le médecin comme dans le cas de traitements et protocoles préétablis pour une maladie. Il est capital que le patient (avec mutation ou pas) soit acteur de ses soins et que, pour cela, il aille au-delà de ses émotions, conditionnements, peurs.

Acceptation et lâcher-prise

Je pense que la toute première chose dans l’épreuve c’est de décider de faire en sorte qu’elle nous transforme, que ce ne soit pas quelque chose que l’on subisse. Je pense sincèrement que les épreuves sont là pour nous faire aller plus haut, plus loin  ; la manière d’y arriver, c’est d’abord d’accepter ce qui est. La clé de ce processus est vraiment l’acceptation, non pas au sens de baisser les bras, et juste se morfondre sur son sort, ou résister et vivre dans la colère et les «  pourquoi ça m’arrive à moi  ?  », mais c’est dans l’acceptation de ce qui est en toute lucidité, en essayant de retrouver une sorte de sérénité. Il ne faut pas vivre dans le déni ou la colère, mais plutôt essayer de transcender ces deux émotions qui peuvent ralentir le processus. Dans mon cas, j’avais déjà réalisé l’importance de la non-résistance, j’ai donc eu la chance de ne pas vivre cette étape pourtant si courante de déni et de colère.

Une fois que l’on a accepté ce qui est, peut émaner de l’intérieur, parce que l’on n’est plus dans la résistance, la force de continuer, d’avoir des réponses à nos interrogations, la possibilité de passer à une autre étape. C’est le même processus qui aide à vivre la souffrance physique, même si nous avons maintenant plusieurs moyens pour la contrôler tant médicalement qu’avec des soins de médecine alternative, l’acceptation de ce qui est, le lâcher-prise et la non résistance sont vraiment, selon mon expérience, la première étape cruciale pour la vivre. Je peux en témoigner réellement puisque je fais partie des rares personnes qui ne tolèrent pas la morphine  !

Il est nécessaire de différencier la maladie de la totalité de son être : tout n’est pas malade, certaines fonctions ne sont pas affectées, alors qu’au début on croit que l’on est comme pris dans une avalanche, que tout le corps est entièrement malade. Comment avez-vous fait pour franchir ce pas  ?

Il est important dans cette situation de revenir au moment présent et de se dissocier en quelque sorte de l’événement, de ce qui se passe. L’être profond, véritable que l’on appelle l’âme, ou autrement, l’essence de la personne, ce qui ne se réduit pas au corps, à l’intellect, aux émotions, aux peurs, ceci donc n’est pas la maladie. C’est dans cet espace là que l’on peut retrouver la sérénité et reprendre notre vie en mains.

Contempler la mort

Une des choses sur laquelle je voudrais insister ici, c’est qu’il faut contempler la mort parce que c’est ça qui fait peur, plus que la maladie elle-même. Dans notre société, nous vivons comme si la mort n’existait pas, nous repoussons cette pensée, c’est quelque chose de tabou dont nous ne parlons que du bout des lèvres. Mais en fait, quand on réalise que la naissance et la mort sont deux étapes de la Vie et que l’on prend conscience que le corps physique n’est que l’enveloppe qui nous permet d’être incarnés sur terre et n’est pas la totalité de notre être, nous passons de l’observé à l’observant et réalisons que le «  vrai  » nous (les chrétiens parlent d’âme, d’autres personnes parlent d’Âtmâ ou du Soi) n’est pas le corps  ! Alors oui, notre corps va mourir et on ne sait pas quand, mais il est plus facile d’y faire face avec courage et sérénité quand on ressent que notre véritable essence persiste après la mort du corps. Mais pour ceux qui croient qu’à la mort du corps physique c’est la fin, alors, cela peut vraiment anéantir de se savoir gravement malade.

Épreuve et cheminement

Dans mon cas, cela m’a amené à comprendre que les épreuves sont là pour nous faire avancer, pour nous faire réaliser que nous vivons souvent à un niveau très superficiel. Alors la maladie, ou en fait toute épreuve petite ou grande, devient une réelle opportunité de transformation vers une vie plus vraie, plus profonde, plus riche, plus consciente.

Priorités

Donc, si nous revenons aux étapes que j’ai traversées  ; l’acceptation, le lâcher prise, contempler la mort comme faisant partie de la Vie, l’étape suivante a été de reconsidérer toutes mes priorités de vie : Quelles sont-elles, quelles sont mes missions dans cette incarnation sur terre  ? Pourquoi suis-je ici  ?
Je me suis donc reposé toutes ces questions d’une façon plus profonde en revisitant ce que j’avais fait jusqu’à maintenant, en regardant non seulement ce que j’ai fait mais également l’ordre d’importance que je donne à tout ce que j’ai fait. Il est devenu très clair que pour moi le plus important était le chemin spirituel, le cheminement de mon âme, de mon être spirituel. Et cette épreuve vécue par la maladie me permettait d’en prendre réellement conscience et de poursuivre cette évolution.
Poursuivre ce cheminement passait par le réajustement de certaines de mes activités en fonction de mes priorités. Pourquoi est-ce que je fais ceci ou cela  ? J’ai réalisé que tout ce que je fais n’était en réalité pas pour moi, pour ma petite satisfaction personnelle, pour mon ego. En fait tout est pour Dieu (sourire : Mais çà, je ne peux pas le dire à tout le monde  !)

Renaissance

Quand on retrouve l’enthousiasme dans tout ce que l’on fait, cela veut dire que l’on est de nouveau pleinement connecté avec la Vie, avec le grand Tout.

Mais justement, le temps de la maladie n’est pas la période où nous vivons le plus grand enthousiasme. Comment peut-on y arriver  ?

Quand on se re-connecte à cette énergie divine, cela nous aide énormément à vivre la maladie sereinement, à comprendre qu’avec cette épreuve on peut aller plus loin, et subitement ce n’est plus si lourd à porter, on n’est plus aussi seul.

À propos de la solitude, est-ce que pendant tout ce temps de la maladie, des amis peuvent être présents et soulager, diminuer le sentiment de solitude ou est-ce que, quoi qu’ils fassent, quelle que soit la qualité de leur présence, on est toujours aussi seul  ?

C’est sûr que l’on peut être bien soutenu par la famille et les amis mais en fait, on reste profondément seul avec sa maladie et si, comme dans mon cas, on doit prendre des décisions, ce sont des moments extraordinaires d’introspection, je dirais même de contemplation, et à ce moment-là, nos proches ne peuvent nous donner que de l’amour, ils peuvent être présents mais ils ne peuvent jamais vivre à notre place. Et si, croyant bien faire, ils essayent trop de donner des conseils, d’aider, de se mettre à notre place, ce n’est vraiment pas la bonne manière de nous venir en aide. Nous avons besoin je pense plutôt de présence, d’amour, d’affection, d’écoute pour aider à passer les moments de découragement, c’est suffisant  !

De quelle manière êtes-vous sortie de cette maladie  ?

Sortie  ? Pour moi ça été vraiment de prendre une décision et j’ai opté pour une opération prophylactique. Comme j’avais vraiment pris conscience de ce que je voulais faire de ma vie, je savais que je ne pourrais le faire avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, en me demandant toujours quand le cancer allait revenir. Il faut savoir que, avec la mutation génétique que j’ai, les récidives de cancer sont plus fortes et souvent fatales  ; mais l’opération et les traitements de préventions permettent de diminuer d’une manière importante les risques de nouveaux cancers. En plus de l’ablation des seins et des ovaires, j’ai opté pour une reconstruction immédiate par lambeaux libres (DIEP) car, étant violoniste je ne voulais pas toucher aux muscles pectoraux. L’opération a été très longue, 17 heures, mais je l’ai abordée avec beaucoup de sérénité.

Reconnaissance

Pour finir, j’aimerais dire que, pour moi, le cancer que j’ai eu et cette mutation génétique que j’ai pour la vie, sont devenus comme un cadeau. Pourquoi un cadeau  ? Par ce que ça m’oblige continuellement à réévaluer ma vie, ce que je fais - est-ce que je continue de vivre vraiment selon mes priorités  ? C’est une incitation à vivre d’une manière toujours plus consciente, de ne pas se faire happer par le tourbillon des occupations - et Dieu sait que j’ai une vie très occupée, que je travaille énormément et j’aime vraiment beaucoup tout ce que je fais : c’est fantastique, oui, mais pourquoi est-ce que je le fais  ? Ce n’est pas pour moi, c’est pour aller plus loin, pour donner, toujours donner aux autres. C’est pour purifier toujours plus ce canal qui nous permet de recevoir la grâce.
Recevoir la grâce, et après cela, peut-être, la redonner au monde qui en a bien besoin.

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Anne Robert est violoniste et avec le chirurgien qui l’a opérée, lui-même pianiste, elle a conçu un projet musical – Continuum – qui met en scène par la musique et la parole les diverses émotions par lesquelles la patiente est passée, de l’insouciance à la renaissance, en passant par l’angoisse et l’abandon puis la grâce pour transmettre l’espérance retrouvée.